L’Ecopôle alimentaire de la région d’Audruicq

Première initiative du genre, l’Ecopôle alimentaire de la région d’Audruicq est labellisé PTCE en 2015.
L’Ecopôle alimentaire est le fruit de plusieurs années de tâtonnements empiriques.
D’un jardin de Cocagne comptant 70 abonnés à l’articulation complexe d’aujourd’hui, c’est d’abord la volonté d’apporter des réponses pertinentes aux phénomènes sociaux et environnementaux rencontrés par l’équipe de ce jardin qui a abouti à ce que peu à peu, un système alimentaire répondant à des enjeux pluriels soit conduit.

L’EEFC (l’Economie de la fonctionnalité et de la coopération) nous a fait prendre conscience qu’à partir d’une réponse sociale et environnementale, nous tenions peut-être là le début d’une nouvelle forme de réponse fondamentalement économique, dimension que nous apprenons maintenant à intégrer.

Etape 1 : Aux origines

Un jardin de Cocagne d’un peu plus d’un hectare (donc pas dans les normes de viabilité préconisées de plus de 4 hectares) livre 70 paniers par semaine. Mais autant de foyers sur liste d’attente, patientent avec de plus en plus d’agacement.
Un message simple guide notre jardin pour faire évoluer les modalités de l’échange vers une économie solidaire : « vous avez besoin de légumes / ils ont besoin d’un travail : cultivons la solidarité ! »
Nous oeuvrons ainsi pour un circuit court… comme le sont nos capacités, comme l’est à cette époque notre vision de l’avenir…

Etape 2 : Regrouper pour satisfaire plus

L’impossibilité de satisfaire les abonnés apparaît de plus comme une contre-performance. Le jardin de Cocagne associe alors plusieurs producteurs bios et arrive à fournir 150 abonnés par semaine.
Une planification commence à s’élaborer entre les producteurs. Cette planification permet de sécuriser les apports et une petite partie des revenus des producteurs.
L’élargissement du cercle des producteurs permet de répondre aux premières demandes de la Restauration Hors Domicile (RHD).
Pour la RHD, une mercuriale hebdomadaire est alors créée afin de mettre l’offre en marché.
Ce travail d’organisation préfigure l’activité de « plateforme » de Terre d’Opale (planification, mise en marché, agréage, relation commerciale dans un premier temps). Cette activité articule la production aux pistes de débouchés selon une logique encore relativement classique de rencontre entre l’offre et la demande.

Etape 3 : Un besoin « d’éducation »

En 2008, certains de nos ouvriers en insertion viennent travailler le ventre vide. Nous comprenons que le problème ne s’explique pas seulement par l’absence de moyens ou de savoir-faire mais par une relation psychologique complexe face à la manière de l’alimenter et la résistance au changement.
Nos tentatives de réponse donnent peu à peu naissance à un véritable dispositif visant le développement des capacités alimentaires des personnes en difficulté.
Il est intéressant de noter que l’existence de ce dispositif pour les mangeurs en difficulté d’autonomie a développé une nouvelle approche de nos finalités envers l’ensemble des mangeurs que nous touchions. Les questions de santé, de diversité, de goût, de convivialité viennent s’agréger aux besoins physiologiques et au social.
Nous étions face à l’apparition d’une ressource immatérielle nouvelle et très insuffisamment exploitée dans un dispositif qui ne s’attachait jusqu’alors qu’à fournir du travail en nourrissant d’autres gens et cela, avec le moins d’impact sur la planète. La formule d’alors, qui nous convenait bien jusque là « travailler à une filière d’avenir avec des gens dont on dit qu’ils n’ont pas d’avenir » paraissait de ce fait réductrice.
Nous optons pour « Un horizon alimentaire pour chacun ».
Jusqu’alors, une seule structure fait tout à partir d’un même lieu et ses instigateurs se heurtent à l’impossibilité de développer les partenariats (fermeture d’esprit des historiques), les mutualisations nécessaires (raisons précédentes + le lieu inadéquat).

Etape 4 : Alliances et refondation

Nous faisons alors la rencontre déterminante de la Communauté de communes de la région d’Audruicq (CCRA), intéressée par un lieu ressource de nouvelles activités agro-rurales pour conserver l’identité agricole qui a jusqu’alors façonné les paysages et l’économie de la région d’Audruicq.
La CCRA met un disposition un nouveau lieu. Ses moyens d’investissements et de mobilisation de fonds se conjuguent parfaitement à nos projets.
C’est la naissance de l’Ecopôle alimentaire de la région d’Audruicq, lieu d’incarnation de nouvelles pratiques mutuelles dont la puissance évocatrice donne de nouvelles pistes vers d’un avenir (agro) alimentaire souhaité.
Deux structures se partagent le portage :
– Terre d’opale pour le portage agricole, la présentation à la vente, l’organisation technique
et commerciale de l’activité,
– et les Anges Gardins pour l’ensemble du volet social (IAE, programme d’éducation populaire…). Leurs activités et coopérations vont fortement s’enchevêtrer.
Malgré le temps qu’il nous faut passer à la refondation d’un projet et d’un lieu, notre modèle se complète d’autres « encastrements » :
– on retrouve toujours le travail d’association des productions de plusieurs fermes qu’appuie la planification et la mise en marché de Terre d’Opale,
– recherches et expertises sont associées pour identifier les nouveaux agencements, services créés et les métiers et qualification qui en découlent,
– l’action des Anges Gardins appuie les activités de Terre d’Opale sous forme de travail à façon tout en alliant l’insertion à l’activité des producteurs,
– les Anges Gardins influencent fortement la lecture des besoins des mangeurs, élargissent le cercle des intéressés par l’offre de service d’éducation,
– ils s’agrègent les compétences d’autres acteurs d’éducation populaire (Saluterre, le Mat) pour démutiplier la production de ressources en ligne et le nombre de transmetteurs formés,
– la recherche est également engagée pour évaluer l’efficacité des actions.

Etape 5 : Le Pôle Territorial de Coopération Economique (PTCE)

Nous approchons d’un modèle de système alimentaire de proximité qui ne devrait plus faire l’objet de changement majeur avant 3/5 ans sauf à considérer :
– l’internalisation prévue de certaines externalités environnementales (réaliser un travail systématique et sérieux sur la protection des sols, sur la maîtrise des ressources en eau et la lutte contre le changement climatique),
– la portée que nous voulons donner aux nouveaux marqueurs d’échanges et aux nouveaux
moyens offerts par les monnaies locales. Nous partons du principe de renforcer l’autonomie du mangeur et de renforcer différentes sources de contentement (physiologique, sanitaire, récréatif, social, moral…).
Nous nous retrouvons bien dans les 3 intuitions suivantes :
– sortir de la chaîne de valeur (sortir de la position de sous-traitant ou de dépendance vis-à-vis des distributeurs) en passant à une logique d’encastrement de la valeur : comment court circuiter les intermédiaires sans faire du circuit court !
– mobiliser une ressource immatérielle clé non exploitée : ou comment remplacer les intermédiaires par des intermédiations,
– tout en saisissant l’opportunité de mutualiser des investissements : ne pas structurer l’équipement sur les études de marchés mais en fonction du maximum d’utilisations que nous pourrions faire des équipements et du temps.
Nous choisissons aussi de spécifier l’apport des structures Anges Gardins et Terre d’Opale sur la création de chainons manquants et la mutualisation des outils, compétences et ressources.

Etape 6 : un exemple d’essaimage : VITAL

Depuis 2012, les Anges Gardins ont la charge d’animer le programme de politique alimentaire de la ville de Loos-en Gohelle (VITAL – Ville, Transition et Alimentation Locale).
Les volontés, besoins et réponses de VITAL et de l’Ecopôle se sont fortement influencées à tel point qu’on peut considérer grosso modo, que le processus de réponse et d’encastrement de la valeur est pratiquement identique à quelques patronymes près (on notera que “Terre d’Opale” change au profit de “Terre de Gohelle”).
Il est intéressant d’observer comment les moyens de la ville, plus « militante » de la transition écologique et sociale, sont mobilisés autrement que dans le cas de la CCRA (plus volontiers « militante » du développement local).
La municipalité vient s’intercaler au processus et par certains côtés, l’accélérer et le centrifuger.
Ainsi, VITAL :
– se dote d’une compétence d’animation générale de son dispositif,
– provoque et encourage les conversions par le « Fifty-fifty avec les agriculteurs locaux » (la ville te confies 1 hectare à cultiver en bio à condition que tu doubles avec 1 hectare). Cinq agriculteurs feront la bascule. Actuellement, 10 % de la SAU de Loos-en-Gohelle est certifiée AB. Ce mouvement de conversion donne lieu à la création de la SCA Bioloos à l’initiative de 4 des 5 producteurs,
– incite et donne l’exemple dans la consommation bio : 100 % bio pour les maternelles, introduction au foyer des aînés, prise en charge par le CCAS des paniers solidaires,
– sensibilise : fête de l’agriculture paysanne et du bien vivre alimentaire tous les deux ans avec l’Adearn et la Confédération paysanne, opération “Du Blé dans les écoles”, création d’un oasis comestible partagé au cœur de Loos-en-Gohelle,
– veille aussi aux chainons manquants : création d’une riviera nourricière le long des fosses 11, 12 et 19,
– met à disposition des infrastructures : la maison BMU pour la micro-ferme servicielle et le lancement d’une Table de Cocagne,
– capitalise par la recherche : Vital, etc.
– propage : écriture des bases d’une politique alimentaire au niveau de l’agglomération.

Après plus de deux ans de fonctionnement, Nous proposons à la commune de Loos-en-Gohelle deux orientations nouvelles :
– Faire porter la politique alimentaire territoriale par l’échelle intercommunale. C’est ainsi que sur la suggestion du Maire de Loos-en-Gohelle, la Communauté d’Agglomération de Lens-Liévin crée sont PAT, le SATD ;
– Provoquer l’émergence d’un opérateur de terrain capable de s’attacher aux maillons manquants du système. C’est pour cela que la microferme cocagne de Gohelle a été crée, en préfiguration d’un nouvel écopôle… Ainsi commence une autre histoire, à découvrir sur la page de l’Ecopôle alimentaire de Gohelle